Chaque équipe nationale de football
est à l’image du pays qu’elle représente, le reflet de sa culture, de ses modes
d’organisation et de ses tares. Pour ce qui nous concerne, le constat est
simple : tant de potentialités, mais aussi tant de gâchis, sur fonds
d’asthénie morale et d’impuissance collective. Cette impuissance, on l’aura
étalée aux yeux du monde lors des deux matches qui nous ont opposés au Japon
(que nous n’avons jamais battu) et au Danemark (pourtant à notre portée). D’une part, une énorme puissance
potentielle, dont on voit bien ici et là quelques éclairs et quelques éclats,
mais qui titube, qui bégaie, qui ne s’exprime que sur le mode épileptique. De
l’autre, le désordre, la pagaille, l’incurie, les gestes vides de ceux qui sont
au bord de la noyade, bref l’auto émasculation. Les causes structurelles de cette
auto émasculation collective sont connues de tous, à commencer par celles qui
relèvent de la politique et de l’économie.

Il y aura bientôt trente ans, une
élite libidineuse s’est incrustée à la tête de l’État. En collusion avec la
plupart des forces locales, elle a transformé le pays en l’une des satrapies
les plus vénales de tout le continent. Après avoir procédé à une destruction
systématique de l’infrastructure morale et éthique de notre société, elle a
érigé le vol, la perversité et la transgression en nouvelles normes et coutumes
partagées aussi bien par les dirigeants que par leurs sujets. S’en est suivie une
“tonton-macoutisation” généralisée des populations, pauvres et
riches confondus. Au point où aujourd’hui, la sénilité aidant, l’ensauvagement
s’est transformé en culture, en conscience collective et en mode de vie. Tous, on le sait. Et tous, nous
sommes impuissants à y remédier. Le Cameroun de 2010 ressemble aux écuries
d’Augias - en attente d’un nettoyage radical et d’une rupture nette et sans
concession. Car, tant que ce régime de la licence absolue et de la débauche
permanente déterminera notre destin, il n’y aura rien à attendre de l’avenir.

Dans une large mesure, il n’y aura
donc aucune possibilité de rayonnement mondial du football camerounais en
l’absence de changements politiques radicaux. De ce point de vue, le fiasco
sud-africain n’est pas seulement une affaire de coach. Certes, ce pauvre Le
Guen et ses acolytes - techniciens obtus et tacticiens de second degré - n’ont
cessé de tâtonner, de naviguer à vue et d’improviser. Mais comme d’habitude,
ils étaient loin de tout contrôler. Bien des ficelles leur échappaient. Ils avaient hérité d’une sélection
dont la transition, chaotique, n’avait guère, comme à l’accoutumée, été
planifiée. Ils ont vite découvert que l’équipe nationale était un marais
infesté de crocodiles. Après l’éclaircie du début [La qualification pour la
Coupe du monde], ils ont passé l’essentiel des derniers mois dans la fange.
Avant même le coup d’envoi du Mondial, ils étaient déjà empêtrés dans la boue. Emmenés par un capitaine talentueux
[Samuel Eto’o], mais égo-narcissique, un brin impétueux et peu porté à la
discrétion, les joueurs ont offert un spectacle d’impuissance consommée.

Sonnés par près de trente ans de
pourrissement, les Camerounais sont passés maîtres dans l’art de la fraude, de
l’improvisation et de la prévarication. Toujours, ils veulent récolter ce
qu’ils n’ont pas semé. En lieu et place d’un labeur de
longue haleine, ils réclament des miracles et, faute de les obtenir, ils
inventent des boucs émissaires. Or, le foot moderne ne connaît ni miracles, ni
magie. Seuls comptent l’organisation, la discipline, le travail et la
prévision. Il faut donc revenir au point de départ. Et d’abord, il faut de
manière décisive fermer la page de la génération 1998-2000 qui a procuré tant
de moments de joie à la nation (Rigobert Song, Gérémi Njitap, auxquels il faut
ajouter Webo, Idrissou, Souleymanou et d’autres). Il faut ensuite ouvrir avec
détermination la page du futur. Paul Le Guen en a tracé quelques lignes plus ou
moins furtives en intégrant dans l’effectif des jeunes qui ont avec eux la
durée et le talent (Matip, Bong, Mandjeck, Assou-Ekotto, Choupo, Bassong,
Eyong, Aboubakar et d’autres). Avec Nkoulou, Alex Song, Mbia, Eto’o, l’on
dispose, là, de quoi constituer une équipe qui gagnera en expérience au fur et
à mesure des batailles à venir.

C’est ce socle qu’il faut consolider et élargir,
en cultivant et en intégrant les talents qui font encore défaut et sur des
postes où le manque est évident - des latéraux qui savent créer le surnombre,
de bons joueurs de couloir, de nouveaux attaquants de la trempe d’Eto’o ou
Milla [qui a mené le Cameroun en quart de finale lors du Mondial 1990], des
gardiens de buts de la densité de Bell ou Nkono, des tireurs d’élite comme le
fut Njitap, des créateurs qui sachent donner du rythme et de la cadence au jeu. Ceci suppose que l’on travaille,
pour une fois, de manière disciplinée et méthodique, et sur le long terme. Ceci
suppose que, pour une fois, il existe une stratégie nationale échelonnée dans
le temps. Car, pour faire bonne figure en coupe du monde, il faut y avoir
travaillé non pas au cours des trois semaines précédant la compétition, mais
plusieurs années en amont. L’expérience aidant, l’on sait
malheureusement que tel ne sera sans doute pas le cas. Et lors du Mondial de
2014, l’on se retrouvera face aux mêmes problèmes : le spectacle de
l’impuissance d’une nation bénie de potentialités, mais prise dans les rets
d’une satrapie sénile et portée à la perversité.